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6eme conférence contre le sida à Genève: il est temps de se remobiliser

 

“Partager pour vaincre” jamais peut-être le thème de la 6eme conférence francophone contre le sida n’aura été autant d’actualité. Deux ans après Casablanca, c’est Genève qui accueille cette année des centaines de participants, militants d’ associations, médecins, chercheurs, acteurs francophones  de la lutte contre le sida. Ces grandes conférences sont importantes pour se rassembler, faire le point être ensemble. Cette année plus encore peut être.
Si je regarde en arrière, je vois des progrès extraordinaires accomplis dans la lutte contre l’épidémie mais, en même temps, je perçois maintenant un climat de désengagement de l’opinion, je vois le poids des contraintes budgétaires, je vois beaucoup d’instrumentalisation, j’entends ce que les associations nous ont dit, je perçois la possibilité de remise en question de certains de nos acquis, un climat que nous ne pouvons laisser prévaloir.
Si je regarde en arrière, les dix années qui se sont écoulées depuis l’assemblée générale des Nations Unies de 2001, depuis les conclusions de la commission macro économie et santé, depuis Abuja, depuis la création du Fonds Mondial,

1. Les traitements antirétroviraux qui transformaient déjà la vie des patients dans les pays riches, n’étaient à ce moment là, vous le savez bien,  pratiquement accessibles à personne dans les pays pauvres où vivent 90 pourcent des malades du sida. Aujourd’hui, c’est 7 millions de personnes qui ont accès au traitement ; 45 pourcent de couverture des besoins les plus immédiats en Afrique; des progrès considérables dans la prévention, une mortalité et une morbidité du sida qui reculent en Afrique et dans la plupart des régions du monde ;Le paludisme était une maladie négligée. Aujourd’hui la mortalité du paludisme en Afrique a reculé de 30 à 50 pourcent et près de 80 pourcent des foyers dans les pays endémiques ont accès à des moustiquaires imprégnées d’insecticide pour se protéger de l’infection ;Et, pour la première fois depuis longtemps, le nombre absolu de cas incidents de tuberculose a diminué, alors que la population mondiale continue de croître, et la mortalité de la tuberculose continue de diminuer.
2. La science a fait des progrès remarquables en matière de traitement et de prévention, souvenez vous du sentiment d’optimisme que nous ressentions à Rome il y a quelques mois.
3. L’échelle à laquelle nous sommes passés est pour moi, par moments, presque incroyable  ainsi, les seuls financements du Fonds Mondial permettent chaque jour, à 800 personnes dans le monde en développement de débuter un traitement antiretroviral, à 800 femmes enceintes seropositives d’accéder à la PTME, à 2500 malades de la tuberculose d’être dépistés et traités, et la distribution de 200.000 moustiquaires.
4. Et ainsi, les premiers signes d’impact que l’on voyait sur le terrain il y a quelques années ont maintenant laissé place à des données solides sur la diminution de la progression et sur l’impact humain, économique et social de l’épidémie. Et c’est pourquoi, nous disions, encore l’an dernier, que si les ressources étaient disponibles, nous pourrions d’ici 2015, faire que pratiquement aucun enfant ne naisse infecté par le VIH, que des millions de vies soient encore sauvées par l’accès large au traitement et à la prévention, que le paludisme ne soit plus un fléau de santé publique et que l’on atteigne les objectifs du millénaire en matière de lutte contre la tuberculose.

Mais, voilà :
Aujourd’hui, nous voyons :
La crise économique et financière et son impact sur les budgets publics des donateurs publics et privés, son impact sur ce que les pays en voie de développement peuvent financer dans les secteurs sociaux. L’annulation du Round 11 du Fonds mondial, que l’impact de la crise soit réel ou instrumentalisé dans cette décision, en est la meilleure illustration ;
Une moindre mobilisation ou un désengagement de l’opinion et des politiques dans de nombreux pays, au Nord comme au Sud et une instrumentalisation de la crise par un certain nombre de politiques, de leaders d’opinion pour attaquer l’aide au développement alors que, en période de crise,  l’aide au développement est plus nécessaire encore.
Une tendance pour chacun de nous à travailler « dans son coin » sur son sujet, protégeant son secteur, et portant, que de grandes choses nous pouvons faire si nous sommes ensemble.
Un certain fatalisme, une certaine résignation devant un contexte politique et économique plus difficile ;
Une tendance à méconnaître les autres acquis, au delà du traitement et de la prévention, considérables, de la lutte contre le sida de ces dernières années : la structuration et le renforcement des systèmes de santé, la participation et la démocratisation dans les prises de décision en santé publique, l’accent sur les plus vulnérables, la prise de conscience de la fragilité épidémique des populations les plus vulnérables pratiquement partout dans le monde, l’innovation en matière d’accès au traitement, notamment au travers de l’engagement du secteur privé, un partenariat institutionnel plus fort et bien meilleur, quoiqu’on en dise ;
Je vois aussi la fin, la mort des négociations de Doha, la place très insuffisante du  débat sur les biens publics mondiaux dans les discours sur la mondialisation et la “régulation” et les faibles progrès de la mondialisation à faire accéder aux marchés des pays riches les produits en provenance des pays pauvres (quota, exonérations de taxe) ;
Enfin, me semble t il, nous n’avons pas trouvé ensemble le bon langage, le nouveau langage qu’il nous faut tenir ensemble dans le contexte où nous nous trouvons.
Alors, dès lors, il nous faut retrouver le langage que dicte l’éthique à laquelle le juge Cameron nous appelait ; retrouver le langage de la science et rejeter le langage de l’opinion du moment. Bachelard disait : «  la science, dans son besoin d’achèvement, comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion . S’il lui arrive, sur un point particulier de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion. L’opinion pense mal, elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissance ».
Il nous faut nous re-mobiliser :
Pour les ressources, pour un Round 11 du Fonds mondial, pour des ressources prévisibles
Pour restaurer la confiance des pays et des communautés récipiendaires dans la volonté collective du monde de mettre fin à l’épidémie,
Pour le maintien de certains acquis fondamentaux des dernières années dans le financement international de l’aide, je pense en particulier au rôle décisionnel plein des pays, à ce que l’on traduit par « l’appropriation delà décision par les pays » ou  »country ownership », menacés en temps de crise ;
Pour que la communauté internationale se tienne aux objectifs qu’elle s’est fixés,
Pour que l’effort redevienne pleinement collectifVoilà ce sur quoi je crois que nous devons nous interroger au cours de cette conférence, ici à Genève, ville qui accueille les institutions multilatérales clefs pour la santé publique mondiale.
Le cynisme n’est pas acceptable. La résignation et l’apathie sont nos ennemies.
Il y a tant de raisons de poursuivre la dynamique de ce que nous avons pu réaliser dans les dix dernières années, tant de raisons d’optimisme, d’espoir.
Nous savons ce que nous pouvons réaliser si nous nous mobilisons tous ensemble dans un même mouvement, dans le même effort, si nous restons confiants.

 

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